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Coups de cœur

« Stardust » de Léonora Miano

« Stardust » de Léonora Miano

Avec Stardust, Léonora Miano nous adresse un récit très intime et en tout point poignant. Revenant sur son arrivée à Paris pendant ses jeunes années, l’autrice devient ici « Louise » afin de se détacher quelque peu de l’histoire très personnelle qu’elle s’apprête à raconter. Engagée dans une histoire d’amour au devenir incertain, Louise se trouve contrainte d’arrêter ses études après avoir donné naissance à la petite Bliss. Très rapidement, son couple se délite et Bliss et elle se retrouvent à la rue, à la recherche d’un toit. Sans papiers, Louise vient se frotter à la rudesse de la vie de celles et ceux en marge de la société, et se résout avec un aplomb mêlé de crainte à ne pas tomber plus bas. À la faveur d’une rencontre avec une assistante sociale enfin bienveillante, sa fille et elle rejoignent le foyer de la rue de Crimée dans le 19e arrondissement – un centre de réinsertion et d’hébergement d’urgence pour femmes. Louise y découvre le tragique de ces vies qui se dessine devant elle, la peur et la précarité, la violence qui s’en échappe, et elle n’aura de cesse, pour l’amour de Bliss, de lutter avec abnégation pour connaître des jours meilleurs et conserver une certaine dignité.

Stardust s’avère être le tout premier écrit de Léonora Miano et sa publication aujourd’hui semble prendre tout son sens. En ces temps troublés, ce roman d’une simplicité touchante résonne avec justesse et aborde une réalité douloureuse avec une grande pudeur.

Mélanie Chanat 


« Stardust » de Léonora Miano
Éditions Grasset & Fasquelle, 08/2022
EAN 9782246831839
Prix : 20,50 €


« Plasmas » de Céline Minard

« Plasmas » de Céline Minard

« Ils étaient là tous les deux, confortables, trente mètres au-dessus du sol, une moitié d’eux-mêmes au chaud, une moitié d’eux-mêmes au frais. C’était un moment unique dont le retour devait être calculé. Envisagé longtemps avant sa disparition, il en était d’autant plus savoureux. » Extrait de Plasmas, de Céline Minard.

Avec Plasmas, Céline Minard nous plonge dans un roman polyphonique dont les voix sont guidées par un fil rouge, celui d’un futur lointain où l’espèce humaine s’est métamorphosée. Réel et virtuel entremêlent avec majesté dans ce remarquable recueil de nouvelles où se croisent une myriade d’animaux étonnants (dont des chevaux améliorés, un paresseux (?) très distingué, un drachon, une poulpe) et des êtres non moins singuliers (des trapézistes connectés, un spécialiste de l’âge des glaces, une Kuïn, d’autres personnages hors temps). Denses, inquiétants, drôles parfois, ces récits distillent une poésie d’une grande beauté d’où émane une précision scientifique, ciselée. Une écriture exigeante pour un livre en tout point réjouissant.

Mélanie Chanat

« Plasmas » de Céline Minard
Éditions Rivages
Date de parution : 18/08/2021
EAN : 9782743653675, 160 pages
Prix : 20,- €

« Le lambeau » de Philippe Lançon

« Le lambeau » de Philippe Lançon

Le temps interrompu


L’expérience des limites est au cœur de toute littérature digne de ce nom. Il est vain de se demander si l’ouvrage que compose Philippe Lançon, journaliste à Libération et Charlie Hebdo, l’un des rares survivants des attentats ayant décimé la rédaction du journal satirique le 7 janvier 2015, relève plutôt du témoignage ou du récit autobiographique. Nous sommes bien plutôt en face d’un document sensible où il s’agit d’affronter ce que Lançon définit comme « le décollement d’une conscience. » Les faits sont connus. En pleine conférence de rédaction, deux hommes vêtus de noir assassinent de sang-froid les principaux contributeurs du journal. Philippe Lançon est à terre. Il ne perçoit que les jambes d’un homme – il ne comprend pas qu’ils sont deux – qu’il entend crier à plusieurs reprises « Allah Akbar ». À ses côtés, le corps de Bernard Maris gît dans le sang. Il essaie de réintroduire dans le crâne le morceau de cervelle que la déflagration de l’attaque a fait sortir.

Le journaliste survit au massacre, mais sa mâchoire est déchiquetée. Il passera plusieurs mois à la Pitié-Salpêtrière, puis aux Invalides, afin d’y être soigné. Cette blessure de guerre convoque, à plusieurs reprises, celles endurées par les « gueules cassées » de la guerre de 14-18. La guerre vient de faire, de nouveau, irruption en plein cœur de Paris. Lançon en portera à jamais les stigmates. On se souvient que venait de paraître le roman de Houellebecq Soumission dont il aura été question quelques minutes avant l’entrée en scène des terroristes. Lançon croisera, des mois plus tard, le romancier qui lui citera ces mots de Matthieu : « Et ce sont les violents qui l’emportent. »

Mais il ne s’agit pas pour le journaliste de comprendre, encore moins de pardonner ; il lui faut témoigner en quoi cette expérience revient le hanter, éternellement. Tout d’abord sous la forme de signes qu’il imagine pouvoir être prémonitoires : à l’image de cette pastèque qu’enfant, il laissa tomber par terre dans une immense explosion de jus rouge sang ou, à l’image de ces anémones de mer qui subliment la perte et le deuil. Les rêves de peur panique viennent se heurter à des réminiscences littéraires. Celles de Proust dont l’auteur relit, chaque jour, le récit de la mort de sa grand-mère. Celles de Kafka dont La Métamorphose décrit le mieux cette sensation absurde d’être un oublié de l’Histoire. Non pas que l’on ne se souvienne que des morts et des disparus, mais les blessés de guerre sont un fardeau que nulle conscience nationale ne sait véritablement penser. Les pages les plus magnifiques du livre concernent sans doute ces moments où Lançon évoque, en des mots simples, ces hommes et ces femmes abattus par la vie elle-même, qu’il croise à l’hôpital. « Il y avait ce jeune militaire guadeloupéen qui avait été blessé par Mohammed Merah. Tétraplégique, souvent déprimé, il sortait enfin de sa chambre quand je suis entré aux Invalides », écrit l’auteur.

C’est de notre rapport au Temps dont il est question tout au long de l’ouvrage. De ce Temps dont nous sommes dépossédés, emportés que nous sommes par une prolifération amnésique d’images et de commentaires qui ne sont que la face cachée de ces flux de capitaux et de marchandises qui composent le seul horizon désormais viable. Pour qui a connu l’irruption dans sa vie du néant, quel qu’en fût la forme, la linéarité d’une existence ballotée entre vaines espérances et regrets hypocrites n’est plus qu’une vaste farce : « L’attentat, écrit Lançon, fend l’arbre à l’intérieur duquel les gens vivent, aiment, se séparent, se retrouvent, se souviennent, vieillissent. Il crève le tourbillon de la vie. » Le terrorisme nous rappelle peut-être à la souffrance ayant déserté notre horizon d’attente : « Vivre à l’intérieur de la souffrance, ajoute-t-il, entièrement, ne plus être déterminé que par elle, ce n’est pas souffrir ; c’est autre chose, une modification complète de l’être. »

Tout devient alors fiction ou mythologie. Ou disons que plus rien ne tient devant la force de frappe du néant. Ni les amis, ni les amours, ni les souvenirs. Seule reste peut-être cette capacité atroce et sublime à la fois de la verbalisation. Que la chair mutilée aussi se fasse Verbe est sans doute la seule réponse à opposer à ceux dont les proclamations délirantes commencent par réfuter le principe même de la chair, c’est-à-dire de la décomposition et du salut. Le monde que nous parcourons est en lambeaux. Un écrivain s’honore aujourd’hui de le dire pour ne pas avoir à céder à la sidération que provoque une violence qui n’en est peut-être qu’à ses débuts.

 

Olivier Rachet


Philippe Lançon, Le lambeau, éditions Gallimard, avril 2018.

« Tiens ferme ta couronne » de Yannick Haenel

« Tiens ferme ta couronne » de Yannick Haenel

Ce qui ne tend pas vers le miracle rend servile

Ce n’est pas la première fois que Yannick Haenel rend hommage à l’un des plus grands aventuriers de la littérature – à un monstre du sacré – puisque déjà Prélude à la délivrance écrit avec François Meyronnis plaçait l’auteur de Moby Dick et de Billy Budd à la hauteur métaphysique où se risque toute écriture digne de ce nom. Le narrateur de son dernier roman, Tiens ferme ta couronne, sera bien connu de ses fervents lecteurs. Jean – protagoniste de Cercle ou des Renards pâles – vit reclus dans un vingt mètres carrés, près de Belleville, à Paris. En attente d’être expulsé, il visionne frénétiquement les rares chefs-d’œuvre monstrueux du septième art : The Deer Hunter de Cimino, Apocalypse now de Coppola, Aguirre ou la colère de Dieu de Herzog. Il a d’ailleurs écrit un scenario consacré à Herman Melville : The Great Melville qu’il ira présenter, sur les conseils d’un ami producteur, à New York, au grand Michael Cimino lui-même.

Le narrateur est, comme les appelle Sollers, un voyageur du Temps. Habité par des noms dont il compose, au gré des circonstances, des triades qui sont autant de talismans qui éclairent de leur flambeau dans la nuit : « Melville-Proust-Joyce ou Dante-Flaubert-Beckett ou Shakespeare-Rimbaud-Faulkner ». Une séquence culte de Voyage au bout de l’enfer, à laquelle le titre originel The Deer hunter renvoie explicitement, confronte le personnage incarné par Robert de Niro à un daim blanc qu’il tient en joue et auquel il laissera la vie sauve. On sait Yannick Haenel hanté par l’Ancien Testament et, n’en déplaise à Claude Lanzmann, depuis Jan Karski, le seul à questionner encore les conditions dans lesquelles la Shoah a pu avoir lieu et constituer un paradigme, non pas seulement juridique mais métaphysique, de toute entreprise d’extermination. Cette séquence du daim blanc que le narrateur regarde en boucle ne renvoie pas seulement au sacrifice d’Abraham, elle contient en germe tous les crimes sacrificiels de l’Histoire.

On ne s’étonnera donc pas qu’au gré du récit – « de la folie des récits » dont Haenel dit qu’elle relève « du trafic entre les hommes et les dieux » – affleurent les crimes sur lesquels se construisent et s’anéantissent les civilisations. Des attentats islamistes, dont l’un des compagnons de débauche de Jean prétend qu’ils sont le signe d’une rivalité mimétique entre des puissances spirituelles qui s’affrontent, au massacre des innocents perpétrés par les fermiers capitalistes à la fin de La Porte du paradis de Cimino. D’une déambulation en direction d’Ellis Island, en compagnie du réalisateur américain, le narrateur aura la révélation que le flambeau tenu par la Statue de la Liberté prend la forme d’une épée, mais qu’il s’agit aussi du premier camp de concentration de l’Histoire moderne. Est-il possible de penser ensemble, se demande le narrateur, le génocide amérindien et l’entreprise d’extermination nazie ? Au commencement n’est malheureusement ni le Verbe, ni la Lumière. Au commencement est le sang impur du sacrifice, le couteau qui, sous couvert d’établir une alliance, tranche les liens invisibles qui relient l’homme aux dieux. Le motif de la chasse – cette traque amoureuse entre un prédateur et une proie qui jouit de ne pas se laisser prendre – parcourt tout le roman, ouvrant des perspectives anthropologiques d’une rare violence :

« La chasse est spirituelle : en elle se déplie un monde séparé, semblable à cet éclair vers lequel le désir sexuel capte les amants pour les isoler ; à travers leur nudité se rejoue un sacrement, celui par lequel le chasseur et la proie, en se soustrayant au monde restreint, appellent sur eux les signes qui leur accordent de ne plus être ce qu’ils sont, mais d’appartenir au couteau, à l’éclat qui vient frapper la lame, à la gorge qui crie, à l’artère qui se déchire, au sang qui gicle. »

La chasse est spirituelle, elle est aussi l’autre nom du désir : désir de voir la déesse Diane au bain qui conduira Actéon à être dévoré par ses propres chiens après que celui-ci eut été métamorphosé en cerf, désir de posséder et de s’anéantir érotiquement en l’autre, désir de détruire par le feu tout ce que l’on aime. « Le fauve rôde dans les bois comme l’irascible circule dans nos veines » écrit admirablement Haenel dans une prose souvent incandescente, au sens premier du terme. Une prose qui se consume et renaît moins de ses cendres qu’elle ne s’alimente au feu sacré du désir. On songe souvent aux textes de Bataille regroupés dans L’Impossible. Et si l’on accompagne, dans les dernières pages du roman, le narrateur de nouveau en Italie, près du lac de Némi, c’est moins pour un bain de jouvence purificateur que pour avoir réussi à traverser les enfers et à retrouver l’innocence qui se consume de son seul désir :

« […] tandis que toutes les civilisations étaient fondées sur l’idée de garder le feu, notre civilisation est celle de l’extinction : elle a horreur que ça brûle et s’est arrangée pour que le feu meure – pour que nous vivions au milieu de cendres. »

Olivier Rachet

 

Yannick Haenel, Tiens ferme ta couronne, éditions Gallimard, Collection « L’Infini », 2017.

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EN VITRINE

Le chat du Rabbin

Le chat du Rabbin

La série de BD culte de Joann Sfar publiée chez Dargaud en 12 volumes a été adaptée par lui-même à l’écran, rappellant à notre bon souvenir les bienfaits du multiculturalisme. Une fable philosophique à la Voltaire évoquant « des chats et des dieux » pour qui le problème n'est pas la religion, mais la façon dont on la vit. Le sépharade chat-philosophe, qui un jour dévora un perroquet et se mit à parler, nous apprend à lui seul sagesse et malice du Maghreb.

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