Notre sélection

Les rubriques

Nouveaux articles

Chroniques

Ailleurs

Sitaudis.fr : Revue off

Virginie Lalucq, Cutting the stems par Laurent Zimmermann 27/03/2024

La littérature embarquée, Justine Huppe par Joseph Mouton 25/03/2024

591 n°18 Fururisme et Constructivisme par François Huglo 19/03/2024

du9 : L'autre bande dessinée

Léa Murawiec 15/03/2024

Phrénologie 1905 14/03/2024

Très chouette 13/03/2024

Coups de cœur

« Tiens ferme ta couronne » de Yannick Haenel

« Tiens ferme ta couronne » de Yannick Haenel

Ce qui ne tend pas vers le miracle rend servile

Ce n’est pas la première fois que Yannick Haenel rend hommage à l’un des plus grands aventuriers de la littérature – à un monstre du sacré – puisque déjà Prélude à la délivrance écrit avec François Meyronnis plaçait l’auteur de Moby Dick et de Billy Budd à la hauteur métaphysique où se risque toute écriture digne de ce nom. Le narrateur de son dernier roman, Tiens ferme ta couronne, sera bien connu de ses fervents lecteurs. Jean – protagoniste de Cercle ou des Renards pâles – vit reclus dans un vingt mètres carrés, près de Belleville, à Paris. En attente d’être expulsé, il visionne frénétiquement les rares chefs-d’œuvre monstrueux du septième art : The Deer Hunter de Cimino, Apocalypse now de Coppola, Aguirre ou la colère de Dieu de Herzog. Il a d’ailleurs écrit un scenario consacré à Herman Melville : The Great Melville qu’il ira présenter, sur les conseils d’un ami producteur, à New York, au grand Michael Cimino lui-même.

Le narrateur est, comme les appelle Sollers, un voyageur du Temps. Habité par des noms dont il compose, au gré des circonstances, des triades qui sont autant de talismans qui éclairent de leur flambeau dans la nuit : « Melville-Proust-Joyce ou Dante-Flaubert-Beckett ou Shakespeare-Rimbaud-Faulkner ». Une séquence culte de Voyage au bout de l’enfer, à laquelle le titre originel The Deer hunter renvoie explicitement, confronte le personnage incarné par Robert de Niro à un daim blanc qu’il tient en joue et auquel il laissera la vie sauve. On sait Yannick Haenel hanté par l’Ancien Testament et, n’en déplaise à Claude Lanzmann, depuis Jan Karski, le seul à questionner encore les conditions dans lesquelles la Shoah a pu avoir lieu et constituer un paradigme, non pas seulement juridique mais métaphysique, de toute entreprise d’extermination. Cette séquence du daim blanc que le narrateur regarde en boucle ne renvoie pas seulement au sacrifice d’Abraham, elle contient en germe tous les crimes sacrificiels de l’Histoire.

On ne s’étonnera donc pas qu’au gré du récit – « de la folie des récits » dont Haenel dit qu’elle relève « du trafic entre les hommes et les dieux » – affleurent les crimes sur lesquels se construisent et s’anéantissent les civilisations. Des attentats islamistes, dont l’un des compagnons de débauche de Jean prétend qu’ils sont le signe d’une rivalité mimétique entre des puissances spirituelles qui s’affrontent, au massacre des innocents perpétrés par les fermiers capitalistes à la fin de La Porte du paradis de Cimino. D’une déambulation en direction d’Ellis Island, en compagnie du réalisateur américain, le narrateur aura la révélation que le flambeau tenu par la Statue de la Liberté prend la forme d’une épée, mais qu’il s’agit aussi du premier camp de concentration de l’Histoire moderne. Est-il possible de penser ensemble, se demande le narrateur, le génocide amérindien et l’entreprise d’extermination nazie ? Au commencement n’est malheureusement ni le Verbe, ni la Lumière. Au commencement est le sang impur du sacrifice, le couteau qui, sous couvert d’établir une alliance, tranche les liens invisibles qui relient l’homme aux dieux. Le motif de la chasse – cette traque amoureuse entre un prédateur et une proie qui jouit de ne pas se laisser prendre – parcourt tout le roman, ouvrant des perspectives anthropologiques d’une rare violence :

« La chasse est spirituelle : en elle se déplie un monde séparé, semblable à cet éclair vers lequel le désir sexuel capte les amants pour les isoler ; à travers leur nudité se rejoue un sacrement, celui par lequel le chasseur et la proie, en se soustrayant au monde restreint, appellent sur eux les signes qui leur accordent de ne plus être ce qu’ils sont, mais d’appartenir au couteau, à l’éclat qui vient frapper la lame, à la gorge qui crie, à l’artère qui se déchire, au sang qui gicle. »

La chasse est spirituelle, elle est aussi l’autre nom du désir : désir de voir la déesse Diane au bain qui conduira Actéon à être dévoré par ses propres chiens après que celui-ci eut été métamorphosé en cerf, désir de posséder et de s’anéantir érotiquement en l’autre, désir de détruire par le feu tout ce que l’on aime. « Le fauve rôde dans les bois comme l’irascible circule dans nos veines » écrit admirablement Haenel dans une prose souvent incandescente, au sens premier du terme. Une prose qui se consume et renaît moins de ses cendres qu’elle ne s’alimente au feu sacré du désir. On songe souvent aux textes de Bataille regroupés dans L’Impossible. Et si l’on accompagne, dans les dernières pages du roman, le narrateur de nouveau en Italie, près du lac de Némi, c’est moins pour un bain de jouvence purificateur que pour avoir réussi à traverser les enfers et à retrouver l’innocence qui se consume de son seul désir :

« […] tandis que toutes les civilisations étaient fondées sur l’idée de garder le feu, notre civilisation est celle de l’extinction : elle a horreur que ça brûle et s’est arrangée pour que le feu meure – pour que nous vivions au milieu de cendres. »

Olivier Rachet

 

Yannick Haenel, Tiens ferme ta couronne, éditions Gallimard, Collection « L’Infini », 2017.

EN VITRINE

"Baltique, à pied d'île en île - Carnet de voyage" de Nicolas Jolivot

"Baltique, à pied d'île en île - Carnet de voyage" de Nicolas Jolivot

De l’Allemagne à la Suède en passant par le Danemark, de la ville historique de Lübeck à Öland, « l’île du soleil et du vent », Nicolas Jolivot chemine au fil de paysages qui, sous une apparence calme, feutrée et égale, abritent toutes les nuances dont la nature a le secret et une incroyable diversité de populations façonnées par des siècles de fréquentation de ces paysages.

À travers son voyage au pas lent, avec pour tout bagage un carnet, un crayon, une tente et Wilson le sac à dos, le carnettiste nous invite à partir à la découverte d’un territoire européen bien mal connu de nous.

Lettre d’infos

Régulièrement, nous vous informons des activités et des nouveautés de la librairie.

La librairie

Librairie française
Patrick Suel

tel +49 (0)30. 280 999 05
fax +49 (0)30. 280 999 06
Email info@zadigbuchhandlung.de

Le lundi de 14 à 19 heures,
du mardi au vendredi de 11 à 19 heures
et le samedi de 11 à 18 heures

Zadig

PHOTOS

« Inventaire de choses perdues » : une lecture de Judith Schalansky pour les 20 ans de ZADIG le 15/09/2023« On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans » ?Mazen Kerbaj invite Ute Wassermann +1Inauguration de la nouvelle ZADIG le 21 septembre 2019France invitée d'honneur à la Foire du livre de Francfort 2017Leïla Slimani et Olivier Guez invités par ZADIG le 31 mars 2015Une lecture-présentation de Ken Bugul« Le Messager de Hesse », une relecture de Georg Büchner« Les Mystères de la gauche » par Jean-Claude Michéa« L’Art presque perdu de ne rien faire » de Dany LaferrièreRUE DES LIGNES 2013« Verre Cassé » de Alain Mabanckou