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Chronique

Pierre Guyotat (1940-2020) : le crime originel de la conquête

Dessin Guyotat par Leo Scheer - DRAvec Idiotie* sa dernière œuvre, Pierre Guyotat a poursuivi une veine romanesque débutée en 2007 avec le récit Formation, et prolongée en 2010 avec Arrière-fond. Après les premières années, l’âge d’homme ; l’âge moins de la raison que de la sécession et de l’engendrement de la vie aux abois par la semence de l’écriture. Au cœur du récit, ce « crime originel de la conquête », celui de l’Algérie, en l’occurrence ici. « Tous les régimes du dix-neuvième siècle en France, ajoute le narrateur, trempent dans ce sang de la conquête de l’Algérie, dernier legs de la royauté bourbonienne, branche aînée. » Mais avant d’être mobilisé, l’adolescent de 18 ans fugue à Paris, et vit de petits boulots de coursier. Le vol d’une somme prélevée du butin familial rongera sa conscience, comme celui de pommes et de poires avait rongé celle de Saint-Augustin ou de Rousseau. Avant de convoquer dans les scènes imaginaires de l’écriture ses « figures de bordel », l’adolescent s’identifie à des lambeaux de sa mémoire biblique : à Athalie, reine de Juda, apostate du Dieu unique, adepte de Baal. Au reniement de Pierre, à Joseph vendu par ses frères en lequel le poète voit l’un de ses semblables. Une poétique s’écrit, qui oscille entre observation farouche du monde tel qu’il se décompose et désir secret de l’anéantissement du martyr : « ainsi, dans l’oeuvre que je fais, ai-je toujours balancé entre la distanciation et l’immédiateté : entre spectateur, témoin interdit de cri et supplicié », écrit-il dans la dernière partie « Exode ». Le récit s’ouvre d’ailleurs sur l’évocation d’une « fille à poux », prétexte à poser les jalons d’une esthétique de l’impur – « Rien n’est pur » écrit ailleurs l’auteur – de la souveraineté même de l’immondice et du déchet. Esthétique de la subversion qui rappelle bien plutôt Genet que Bataille, dans cette tentative sainte d’élever le rebut au rang même du sublime : « se lancer dans le sale, l’approcher, le toucher, le traiter, vivre enfin comme un homme passe par ce contact, ce ‘partage’ de la misère, les saints s’y sont sanctifiés, ainsi devrai-je, de quelle façon ? y confronter mon goût du net, de l’ordre ».

De Rimbaud lui vient sans doute le goût suave de l’affranchissement, mais c’est de Faulkner dont le jeune mobilisé reçoit un exemplaire que lui naît une illumination soudaine : « c’est de la bête que je dois faire une oeuvre, de l’idiot qui parle, du “rien” […], par l’idiot, détruire l’humanisme, comprendre le monstre politique ou de camp ». Les traces de l’avilissement sont partout, si on les cherche bien. Au détour de l’un de ses voyages le menant à Paris, une notation suffit à mettre en perspective le présent : « ici vit caché un homme qui, jeune, a vendu un maquis d’adolescents polonais communistes que les Allemands ont massacré dans une clairière. » La veulerie et la trahison sont partout dans cette Algérie qui sera, pour Guyotat, la blessure intime ayant initié ses tous premiers textes Tombeau pour 500 000 soldats ; Éden, Éden, Éden. Une étrange innocence irrigue chaque notation, ponctuée le plus
souvent par des interrogations désarmantes. Car l’énigme reste entière qui voit un homme torturer l’un de ses frères ou plonger son sexe dans la fente chaude d’un animal ou d’une femme : « perpétrer ce viol sans fin de la chair de quoi se nourrit la vie ». « Une rafale vers la mer, qui bute qui ? » et pour quoi ?

Il n’est sans doute pas anodin que Guyotat se soit lancé, à côté d’œuvres plus polyphoniques, dans le récit de formation. Mais celle de l’écriture, du texte : ni de la vie ni du monde, encore moins de ses valeurs. Comme dans la physique épicurienne, la prose décline en parcelles d’atomes et se fait texte. Transformation à l’œuvre dans l’écriture, mais au cœur de ce que, par paresse, nous appelons encore l’identité ; là où il n’y a que morcellement, déflagration : « Se penser ainsi fragmenté, dans un monde périssable, Terre, Soleil, astres, mais comment penser le péri ? Toute pensée ne mène-t-elle pas à la mort, une concentration idéale à la déraison ? »

Olivier Rachet


(*) Grasset 2018 : Prix Médicis, prix de la langue française, prix spécial du jury Femina.


Texte paru dans l'édition N°8 des Cahiers de Tinbad (novembre 2019).

Dessin de Pierre Guyotat illustrant cet article : © Leo Scheer

EN VITRINE

"La fête des mères" de Richard Morgiève

"La fête des mères" de Richard Morgiève

Une famille de la haute bourgeoisie versaillaise dans les années soixante : la vipère parfumée à L’Heure Bleue, c’est la mère. Le père banquier est absent, les quatre frères se détestent. Ou bien ils s’aiment un peu, beaucoup. Ils ont faim car la mère ne veut pas qu’ils mangent. Ils ne sentent pas bon car elle leur interdit l’eau chaude, et puis à peu près tout, sauf la confession. Jacques se rebelle. Il refuse de faire sa communion solennelle et tombe gravement malade. Il veut vivre. Ce n’est pas si facile. Il faut se battre contre la maladie, contre le sort. Il faut garder l’espoir, attendre l’amour qui guérit tout. Pour accomplir ce miracle, Jacques a deux talismans : un trèfle à cinq feuilles et une graine de haricot. Quarante ans plus tard, il raconte son histoire. (Joëlle Losfeld éditions, 2023)

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