Le conteur primordial mobilise déjà l’incertitude épique de Cervantès ; les distorsions du réel de Kafka ; les touffeurs langagières de James Joyce ; le majestueux détour de Faulkner autour d’une damnation originelle... Et, je ne veux pas vous faire de la peine, mais il m’est arrivé d’imaginer, à l’écoute de nos vieux contes, que ce cher Rabelais, ce père du langage, ce surgissement d’une catastrophe esthétique extrême, venait très certainement d’une plantation martiniquaise. Je crois que Rabelais est un conteur créole.
Patrick Chamoiseau
Discours inaugural de la Chaire d’écrivain en résidence, Sciences Po Paris, 27/01/2020
Sitaudis.fr : Revue off
Christian Prigent contre le réel, tout contre de Laurent Fourcaut par François Huglo 20/03/2023
Andrea Zanzotto, Le Galaté au Bois par René Noël 18/03/2023
Yves di Manno, Lavis par Tristan Hordé 14/03/2023
du9 : L'autre bande dessinée
Affinités 17/03/2023
Varya Yakovleva 13/03/2023
Shôjo 10/03/2023
L'expérience matricielle des limites.
Elle est écrivain, a suivi son mari à Vancouver puis à Sydney, en Australie. Réfugiée, avec ses deux enfants et son époux, dans les Blue Mountains, dix ans après la mort subite de leur fils de quatre ans et demie, Tom, elle entreprend de se souvenir de cet impossible deuil. Aux notations concernant les zones sismiques d'une mémoire ravagée par la douleur et la culpabilité succède l'évocation de paysages mentaux du bout du monde : presqu'île australienne qui se détache tel un bloc de mémoire du continent antarctique, île déserte de Tasmanie couverte d'une forêt discontinue de pluie, désert rouge et blanc d'une chambre obscure enregistrant le cri de douleur indicible d'une mère ayant perdu son enfant.
Le pathos n'est pourtant pas de mise puisqu'il s'agit avant toute chose pour la narratrice d'explorer une béance, d'instiller le doute sur l'artifice d'une cicatrisation ne faisant qu'occulter le néant même de la béatitude humaniste avec laquelle nous envisageons la possibilité même de la mort. Tom est mort et la simplicité de l'énoncé ouvre les portes de l'horreur la plus extrême. Avec ce roman quasi policier explorant les eaux troubles de la conscience féminine, Marie Darrieussecq repousse un peu plus encore les limites de l'écriture de l'impossible. Aux grandes femmes, la matrie rancunière?
Olivier Rachet
Tom est mort, Marie Darrieussecq
P.O.L
De la musique, avant toute guerre !
Epreuves, brouillons, carnets préparatoires. Admirable esquisse de Féerie pour une autre fois, Maudits soupirs pour une autre fois que la collection L'Imaginaire réédite avec bonheur, voit Céline, du fond de sa prison danoise, mettre en branle ses souvenirs de la seconde guerre mondiale. Effroyable machine à retourner le temps, à le distendre, le tordre, lui faire subir la pression d'une énonciation toujours aux abois, l'écriture célinienne est un éclat de rire permanent et un cri qui affrontent le choc des événements. Le roman en gestation constitue le récit d'un double péril. Péril lié au bombardement du quartier de Montmartre que le narrateur décrit en un rythme apocalyptique. Péril relatif à l'œuvre elle-même dont l'auteur pourrait être à plusieurs reprises dépossédé, oubliant le sac dans lequel ses ouvrages sont conservés ou le protégeant du rapt organisé par la furie de son voisinage. Maudits soupirs est tout empli du bruit des bombardements et de la fureur qui s'empare des propres amis du narrateur. L'ouvrage, qui abonde en portraits d'êtres côtoyés par Céline dans le quartier populaire de Montmartre, constitue un éloge paradoxal de l'amitié, toute pétrie des vices et des intérêts les plus sordides : « Comme ça c'est les potes, les meilleurs, voyeurs compagnie, sadiques cochons lâches, qu'ils veulent vous voir en morceaux, dépecés, lynchés crucifiques... après qu'ils nous recousent et qu'ils pleurent. Ah ! Je les connais bien. Je les aime bien c'est entendu, mais je les connais alors ! ».
Olivier Rachet
Maudits soupirs pour une autre fois, Louis-Ferdinand Céline
L'Imaginaire - Gallimard (réédition)