Coups de cœur
Ballaciner de J.M.G. Le Clézio

Lumière !
À l'instar de Michel Tremblay dans Vues animées, Le Clézio nous livre dans ce roman ses souvenirs cinématographiques. Ballades vagabondes mêlant portraits et récits de films, intermèdes nostalgiques et analytiques, ces textes parfois décousus sont un hommage rendu au septième art. L'auteur devient beaucoup plus convaincant lorsqu'il situe le cinéma sur un plan politique. La critique à peine voilée de l'industrie hollywoodienne s'accompagne alors d'une réhabilitation du cinéma bollywoodien mais surtout du cinéma japonais de l'après seconde guerre mondiale dont l'universalité séduit tout autant que son ancrage dans une temporalité de la désolation. Car le septième art constitue une figure toujours intacte de la résistance et de la liberté même de penser. Qu'il s'agisse d'évoquer Mizoguchi, Ozu, Pasolini, Jean Vigo ou le jeune cinéma coréen, Le Clézio a le mérite de remettre en mouvement un art dont l'ambition n'est autre que métaphysique : révéler l'être enfoui derrière les apparences spectrales du réel, comme le rappellent ces mots de Parménide, placés en exergue de l'ouvrage : « Claire dans la nuit, autour de la terre errante, sa lumière vient d'ailleurs ».
Le cinéma n'est-il pas aussi la preuve, la trace invisible, que la vie ne
suffit pas ?
Olivier Rachet
Le néogâtisme gélatineux de Daniel Accursi

Éloge de la pataphysique.
Le néo gâtisme gélatineux est un savoureux concept burlesque forgé par Daniel Accursi pour décrire la pensée conformiste décervelée soumise aux lois de la Phynance mondiale et au recyclage des clichés les plus éculés et les plus rétrogrades. Pensée réactionnaire et policière tout autant fascinée par la pulsion de mort d'un troisième âge planétaire néo-conservateur qu'enivrée par une volonté de puissance toujours plus infantile et débilitante qui s'amollit dans la transparence gélatineuse de ses propres désirs individualistes. Le NÉOGATEUX est une « espèce d'Ubu sacrificateur et purificateur. Mélange d'esprit sénile acariâtre et d'avidité juvénile. » A ce désastre écervelé, Accursi oppose, en un rire destructeur et salvateur à la fois, le cri de révolte d'une Pataphysique en éternelle ébullition. Forgée en son temps par Alfred Jarry, la Pataphysique, mère nourrice du dadaïsme, en appelle encore et toujours à un dépassement de la métaphysique, néo-conservatisme galopant du triomphe de l'être sur le Rien, à l'origine de toutes choses. A l'heure où l'on assiste, spectateurs hébétés de nos vies dépossédées, aux règnes bellicistes des êtres suprêmes les plus archaïques (Dieu, la Nation, l'Identité, l'Ordre et la Police), il est bon de crier Merdre et d'opposer à l'esprit de sérieux mortifère les salves d'un rire inépuisable et salutaire : celui de la création littéraire et de l'imagination libre. Bougre de merdre, enfourchez vos plumes de paon!
Olivier Rachet
Le ciel sans détours de Kebbir M. Ammi

Au cœur des ténèbres, la lumière marocaine.
La narratrice de ce récit est une vieille femme, Fdéla, née avec le siècle au Maroc et parcourue, au terme de sa vie, au sommet d'une des montagnes enneigée de l'Atlas, où elle raconte à Dieu, libérée enfin de ses souffrances, les étapes ayant jalonné son existence. Enfant illégitime, elle est recueillie, après que sa mère fut lapidée par des hommes sans visage, par celle qu'elle appelle Ma Zahra, qui la vendra à Marrakech à Hadj Belghisse, lequel revendra à son tour la jeune enfant à sa tante Hajja Tamo. Esclave des maîtres dont la corruption grandit au fur et à mesure que les colons s'installlent ; à deux reprises, Fdéla se révoltera pour s'affranchir de sa misère. Le récit se clôt sur les émeutes de Fès en 1990. Entre-temps, le lecteur découvre des figures aussi chatoyantes que Selim, le fils de Hadj Belghisse qui proposera à la jeune fille de fuguer, Bidaq le gardien de la Ménara qui collectionne dans sa baraque les cartes postales que ses amis partis en Europe lui envoient, Marlene Dietrich ou Hadj Thami, jeune aveugle de la Koutoubia le nez toujours face aux ténèbres.
Le roman est un va et vient permanent entre les souvenirs de Fdéla et le
temps alangui de la vieillesse. Il constitue un témoignage souvent bouleversant sur l'éternel retour de la misère dans un pays dont on a aussi bien exploité les hommes - ces indigènes ayant combattu à deux reprises les allemands, au côté des soldats français - que les richesses. Il est aussi une méditation sur l'éternel retour du diabolique, qu'incarnent sans doute ces « hommes sans visage » que la narratrice évoque de façon énigmatique dans les premières pages du livre. Colons d'hier, commerçants véreux de jadis, entrepreneurs d'aujourd'hui. Le lecteur se demande qui donc a intérêt à ne pas connaître la richesse de ce qu'il pille. La réponse résiderait alors étrangement dans la présence du père Cyprien, personnage secondaire, qui accueillera un temps Fdéla. Parti de France afin de civiliser des barbares, il se convertira à la langue et à la culture des opprimés.
Olivier Rachet
Racaille de Karim Sarroub

Mohamed ou l’optimisme.
« C’était mon tour. » Dès les premières lignes de ce récit tout voltairien, le lecteur est convié à jeter un regard critique sur les us et coutumes algériennes, en commençant par l’initiation suprême que représente la circoncision. Or, ce que le narrateur en retint est le défilé incessant des voisins et autres parents venus rendre visite au sacrifié, telle cette jeune fille dont il aurait pu tomber amoureux mais qui, en soutenant son regard, frustrera en lui tout désir. L’histoire peut alors commencer. Le narrateur nous raconte ses errances, ses masturbations et son exil, intérieur avant d’être finalement migration volontaire. Enrôlé de force dans une société corrompue et vindicative dont il ne comprend ni les enjeux ni la logique, Mohamed sera relégué dans un asile psychiatrique d’où il finira par s’évader avant de quitter Skikda, en compagnie de son ami homosexuel Mustapha, pour rejoindre Constantine et Alger la blanche.
Le conte cruel de Karim Sarroub se clôt dans les ruelles de Marseille puis à Nancy, où une lettre de l’alphabet finira par hanter l’esprit de notre Candide musulman, malgré lui. Les hommes normaux n’existent guère, ni ici ni ailleurs. L’ironie reste toujours, de loin, l’arme la plus efficace pour combattre les préjugés et l’hypocrisie religieuse, vous ne trouvez pas ?
Olivier Rachet
Racaille, Karim Sarroub
Le Mercure de France, Paris, 2006
17,- €
Page 11/18
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EN VITRINE
"Thésée, sa vie nouvelle" de Camille de Toledo
En 2012, Thésée quitte « la ville de l’Ouest » et part vers une vie nouvelle pour fuir le souvenir des siens. Il emporte trois cartons d’archives, laisse tout en vrac et s’embarque dans le dernier train de nuit vers l’est avec ses enfants. Il va, croit-il, vers la lumière, vers une réinvention. Mais très vite, le passé le rattrape. Thésée s’obstine. Il refuse, en moderne, l’enquête à laquelle son corps le contraint, jusqu’à finalement rouvrir « les fenêtres du temps »…
(éditions Verdier, 08/2020)
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